Les labels: la qualité

Deuxième épisode de cette série consacrée aux labels alimentaires; aujourd'hui: la qualité. Prenez vos cahiers et de quoi écrire parce que ce sera matière pour l'examen. Pour commencer, juste en dessous de la date et du titre, vous pouvez écrire en lettres CAPITALES, en gras souligné: "La qualité, c'est d'la merde".

Oui, c'est comme ça. Pour comprendre cette affirmation un peu provoc' (et un rien manichéenne, avouons-le), il faut nous plonger dans la définition technique de la qualité. Wikipédia nous apprend ainsi que la qualité est "l'aptitude d'un ensemble de caractéristiques intrinsèques à satisfaire des exigences". Pas clair ? Pour simplifier, la qualité, dans le langage industriel, c'est la mise en conformité d'un produit avec un référentiel. Par exemple, s'assurer que tous les yaourts à la fraise auront une couleur adéquate, que toutes les carottes ressembleront à l'image que l'on se fait d'une carotte, ou encore que la sauce Samouraï sera piquante-mais-pas-trop. Bref, s'assurer que le produit rentre bien dans la petite case qu'on aura dessiné pour lui.

Illustration par un cas, repêché dans le magazine Questions à la Une de mars dernier, au sujet des frites: un responsable de chez McCain, le fabriquant bien connu et leader mondial des frites surgelées, nous explique - devant une chaîne de production qui crache 30 tonnes de frites à l'heure - que via le cahier des charges des intermédiaires, le consommateur attend de la frite qu'elle présente une coloration homogène à la cuisson; et ce qui détermine le niveau de coloration d'une pomme de terre cuite dans l'huile, c'est la quantité de sucre - donc d'amidon - qu'elle contient. Problème du point de vue de la qualité: à l'état naturel, cette quantité varie légèrement d'une pomme de terre à l'autre. Solution: on va extraire tout l'amidon de la pomme de terre, et ensuite plonger celles-ci dans un bain de dextrose dont la composition est réglée au gramme près, et durant un temps tout aussi calibré. Résultat: une teneur en sucre "idéale" pour chaque bâtonnet, un goût uniforme quel que soit la pomme de terre de départ, et des frites tellement homogènes qu'elles feraient passer la Corée du Nord pour un repaire de hippies anarchistes en pleine montée d'acide. Oui, c'est aussi triste que grotesque, mais c'est ce le genre d'aberrations que nous refile chaque jour l'industrie sous le prétexte de la qualité alimentaire.

Frites
La frite, un parfait petit soldat dans la guerre pour la standardisation.

Aux antipodes de ce genre de manoeuvres aussi déprimantes qu'inquiétantes, on trouves des collectifs qui militent pour l'abandon de l'homogénéité à tout crin. Un nom, parmi d'autres ? Les gueules cassées. Leur crédo: réduire le gaspillage en encourageant la vente et l'achat de fruits et de légumes "moches", comprenez par là des fruits et légumes dont la forme ne rentre pas dans les calibres établi par les cahiers des charges des distributeurs. Une initiative originale qui favorise la diversité des espèces et des goûts.

Mais alors, est-ce ça la solution ? Faut-il vouer aux gémonies toute notion de qualité ? Of course not, car la qualité peut également désigner, plus simplement, ce qui est "supérieur à la moyenne". Donc non, la qualité, ce n'est pas de la merde. Pas toujours en tout cas. La nuance entre ces deux définitions est parfois ténue mais reste importante car comme nous allons le voir, ce qui importe c'est l'objectif que l'on poursuit en mettant en avant la qualité. On s'en doute, les vérités qui se trouvent derrière les labels obéissent à des considérations parfois très louables, parfois moins. Le terme qualité est par ailleurs très générique, et peut englober une foule d'autres considérations, comme l'origine géographique, que nous avons déjà abordé ici, ou encore des notions comme le bio ou le commerce équitable, que nous aurons l'occasion de voir en détail dans un prochain billet. Ainsi, il n'est pas rare que les indications se recoupent, et qu'un label de qualité induise, par exemple, une indication géographique (cfr. le Label Rouge, ci-dessous).

MassLabels
C'est pourtant clair non ?

Les labels de qualité présentent une différence de taille avec les indications géographiques: un élément déterminant est celui du dépositaire du label, c'est à dire l'institution, la société ou l'entité qui va décerner le label, et se porter garante des critères d'attribution. Contrairement aux indications géographiques, les labels de qualité peuvent en effet être attribués par une société privée. Or, lorsqu'ils attribuent un label, les pouvoirs publics cherchent - en principe - à informer le consommateur de la manière la plus objective possible, et de mettre en avant des produits sains et de bonne qualité, qui sont fabriqués en tenant compte, par exemple, d'une série de considérations sociétales: développement durable, production locale ou encore transparence et traçabilité. Pour les organismes privés, c'est plus simple: ils cherchent au mieux à défendre une image de marque et des parts de marché, au pire à réaliser des profits XXXL tout en réduisant leurs coûts tendance pull en laine lavé à 90°. Pour être tout à fait complet, il faut noter que le terme "label" est protégé - en France en tout cas - et qu'il ne peut être utilisé, dans le cadre de l'agroalimentaire, que pour des sigles officiels. Les sigles de qualités dont l'auteur est une industrie privée ne sont donc pas - juridiquement parlant - des "labels".

On comprend très vite que le label de qualité privé, s'il peut avoir des atouts, défend avant tout des intérêts privés, dont ceux de la rentabilité et du profit qui sont généralement situés haut dans la hiérarchie des valeurs. C'est évidemment une vision quelque peu caricaturale, mais force est de constater que dans l'immense majorité des cas, la prise en considération de questions sociétales par les entreprises n'est jamais qu'une stratégie visant à se démarquer de la concurrence ou d'améliorer sa position sur la marché - le fameux Greenwashing - plutôt qu'une vraie sensibilité aux problèmes concernés. Fin de la parenthèse économique. Pour autant, les labels publics ne sont pas le Saint-Graal: des considérations politiciennes peuvent entrer en ligne de compte, quant il s'agit par exemple de faire la promotion du tourisme ou de l'économie d'une région. Prudence donc, les labels ne sont que rarement 100% indépendants et objectifs, et doivent toujours être considérés pour ce qu'ils sont: des outils d'information, rien de plus. Ceci posé, détaillons quelques-uns des labels de qualité les plus répandus.

Label_Rouge.svgLabel Rouge - célèbre surtout pour la volaille, dont celles des Landes et du Périgord qui furent les premiers produits à l'obtenir, le Label Rouge est un signe officiel de qualité français, dont la naissance remonte au début des années 1960. Il est attribué, sur base d'un cahier des charges, par une instance officielle de l'Etat français: l'INAO (Institut NAtional de l'Origine et de la qualité). A noter que le label rouge concerne essentiellement des produits alimentaires, mais peut également être obtenu par d'autres produits d'origine agricole (gazon, fleurs,...). Le cahier des charges inclut en général une zone géographique de production, ainsi que d'autres critères: typiquement le type de nourriture qui sera donné aux volailles; le Label Rouge est réglementé par plusieurs dispositions légales, et les contrôles sont assez stricts: c'est donc un indicateur assez fiable du caractère supérieur d'un produit.

La montagne, puisqu'on vous dit que ça vous gagne...

Label Montagne - un label (bizarrement) inexistant en Belgique. En France, pour être autorisé par le Ministère de l'agriculture à porter l'appellation Produit de montagne, celui-ci doit être fabriqué en zone de montagne, avec des matières premières elles-même issues d'une zone de montagne, cette dernière notion étant définie par des critères d'altitude et/ou de dénivellement. A côté de cela, plusieurs autres obligations relatives au développement durable et à la préservation du patrimoine sont d'application, et font également de ce label une source d'information fiable quant aux origines du produit.

Label Fermier - en Belgique, la notion de produit fermier n'est pas reconnue officiellement, et n'est donc pas protégée. En France en revanche, il existe une appellation "fromage fermier". Pour s'en prévaloir, un fromage devra avoir été fabriqué selon une technique traditionnelle, par un producteur agricole qui n'utilise que le lait de sa propre exploitation, sur le lieu même de celle-ci. C'est donc assez contraignant, et garantit effectivement un produit local et le plus souvent artisanal.

Saveur de l'annéeSaveur de l'année - On quitte le domaine de l'officiel pour rentrer dans les sigles de qualité privés. Saveur de l'année est une récompense crée à la fin des années 90, par la société Monadia, dont le core-business est l'évaluation de produits par des consommateurs. Concrètement, chaque produit candidat est testé et noté - en aveugle - par un panel d'une centaine de consommateurs. Ceux-ci lui attribuent une cote, et le résultat détermine chaque année les quelques 150 produits qui auront le droit d'utiliser - moyennant paiement - l'appellation à des fins promotionnelles. Le coût pour les producteurs est quasiment négligeable en regard des bénéfices qu'il pourront en retirer: ainsi, les enseignes sélectionnées qui apposent la mention sur leur produit ont vu leurs ventes augmenter jusqu'à plus de 35%. Bref, une mine d'or dont le bénéfice profite avant tout à l'industrie agroalimentaire.

ProduitAnnéeProduit de l'année - Ici, on est à la limite de l'arnaque caractérisée. C'est toujours un panel de consommateur qui vote, mais cette fois-ci, sur des critères qui sont presque exclusivement de l'ordre du marketing. Par exemple: ce produit est-il innovant ? est-il attractif ? Encore plus fort, on interroge le consommateur quant à savoir s'il a déjà lui-même utilisé le produit, mais ses réponses sont comptabilisées y compris s'il ne l'a jamais fait. Résultat: un classement dont l'essentiel des critères ne concerne pas les qualités intrinsèques du produit, mais bien son packaging et sa capacité à séduire le consommateur a priori.

Pour ces deux derniers sigles, une question s'impose: même en admettant que le produit soit plébiscité par les consommateurs après que ceux-ci l'ont testé, est-ce un indicateur fiable de leur qualité ? Pas sûr du tout: le goût, c'est aussi et avant tout une question d'éducation. Il y a des saveurs qui sont plus difficiles à appréhender que d'autres, il y a des choses que l'on n'aime pas étant petit, et que l'on apprend à apprécier avec l'âge (l'inverse arrive aussi, mais c'est plus rare). Dans la nature, l'amertume ou l'acidité sont souvent les indicateurs de substances toxiques, et nous les apprécions pas de manière innée. C'est ainsi que le café, le chocolat noir ou le citron sont généralement des goûts acquis. Or, l'industrie agro-alimentaire ne s’embarrasse pas de ce genre de considérations, nous fournit ce que nos instincts nous poussent à apprécier, soient des composantes qui sont sûrs de plaire au plus grand nombre: le gras, le sucre et toute une batterie d'additifs visant à rendre le goût le plus consensuel possible. Par l'intermédiaire de ces panels, ce sont donc souvent des produits aux saveurs faciles d'accès et sans subtilité qui seront mis en avant, au risque de favoriser, encore une fois, l'homogénéité au détriment de la richesse.

Ces quelques labels ne sont que des exemples, et il serait assez superflu de vouloir en dresser l'inventaire exhaustif. Comme déjà dit précédemment, c'est l'esprit critique et la curiosité qui peuvent nous aider à mieux consommer. Ne nous laissons pas avoir par de beaux logos qui garantissent des taux de satisfaction record sur des panels de consommateurs. Favorisons les labels officiels, et soyons d'autant plus méfiants vis-à-vis des sigles auto-décernés par l'industrie.. Enfin, informons-nous, apprenons à développer nos propres goûts, nos propres préférences, en osant essayer de nouvelles saveurs qui sortent de ce que nous connaissons. On peut ne pas aimer certaines choses, mais on ne peut pas le savoir avant de les avoir goûtées. Et c'est seulement en multipliant les expériences que l'on pourra découvrir des plaisirs gustatifs insoupçonnés.

Car en vérité Foodtales vous le dit, en matière de goût comme ailleurs: le bonheur commence lorsque l'on sort de sa zone de confort !

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