L’Air du Temps **

 

 Un parfum d'exception 

Dans mon dernier article, je me lançais dans un parallèle hasardeux entre téléphonie et cuisine. Tant qu'à faire, poursuivons: de la même façon que certains geeks sont des inconditionnels de Samsung ou de purs fanboys d'Apple, il est des amateurs de bonne chère qui ont leurs idoles. Parmi les miennes, Sang-Hoon Degeimbre figure en bonne place: chef wallon d'origine coréenne, et probablement l'un des plus grands talents que compte la Belgique, c'est aussi et surtout le fondateur de l'Air du Temps, l'un des tout premiers restaurants gastronomiques que j'ai vraiment pu apprécier (passé cet âge étrange appelé adolescence, où l'on se retrouve à de très bonnes tables sans devoir débourser le moindre centime, tout en considérant cela comme une épreuve).

Si la cuisine de San Degeimbre m'a toujours séduite, c'est parce qu'il possède un ensemble de qualités rares, une générosité et une passion qui constituent l'essence même de la gastronomie, et qui se retrouvent dans les moindres détails de l'expérience que représente un dîner chez lui. Attentif aux nouveaux défis de la cuisine, au développement durable, à la mise en valeur du terroir et de nos régions, entrepreneur ultra-dynamique, co-fondateur du collectif Génération W, ce n'est pas un hasard si le Chef est de tous les événements gastronomico-culinaires que compte notre pays, comme par exemple - ô joie - l'inauguration de Culinaria 2015 qui aura lieu dès demain (et à laquelle Foodtales répondra évidemment présent !).

Trêve de flagorneries, tâchons d'être un poil objectif et allons à l'essentiel. En l’occurrence, ce lunch que j'ai eu la chance d'y faire en novembre dernier, accompagné de celle qui est en grande partie responsable de ma passion pour le bien manger: ma maman. Une très belle après-midi et un dîner mémorable dont voici le récit: prenez le temps de vous installer, parce qu'un repas à l'Air du Temps, ça ne peut en aucun cas se résumer en quelques lignes.

OLYMPUS DIGITAL CAMERADeux étoiles au Michelin, ça a forcément son prix: en soirée, il faudra compter entre 150 et 200 EUR par tête, vins compris. Mais l'Air du Temps ne fait pas vraiment partie de ces maisons où on se la joue et où on ne fait à manger qu'à une élite friquée. Non. Comme nous l'annonce le carton posé sur la table: "la gastronomie est amusante est doit être à la portée de tous". Et cette philosophie se traduit en actes très concrets: le midi, un lunch 7 services pour 65 EUR. Et question de lunch, on peut même carrément parler de dîner gastronomique; peu de grandes tables peuvent se targuer de proposer une telle expérience pour ce prix-là. A titre de comparaison, dans la même gamme de tarifs, chez Bruneau ou Rigolet, vous aurez droit au strict triptyque entrée / plat / dessert, point barre.

L'enchantement commence avant même de passer à table, tant le cadre participe à l'expérience. L'Air du Temps a déménagé début 2013, pour investir une grande ferme perdue aux milieux des champs du Namurois, à laquelle on arrive après une véritable ballade en rase campagne: une bulle hors de l'espace et du temps pour un pur moment de délectation. Les autres convives ne s'y trompent pas, de toute évidence heureux d'être là, et conscients de la chance qui est la leur. Parler d'atmosphère cosy ou feutrée serait presque ingrat: harmonie, sérénité, ataraxie sonneraient plus justes. Le service est professionnel, attentif mais sans raideur ou snobisme: les serveurs n'hésitent pas à plaisanter avec les clients, accrochant quelques sourires supplémentaires sur les visages. La passion du Chef est de toute évidence communicative.

Et puis, l'inventivité ne se limite pas à l'assiette, le repas est pensé comme une oeuvre à part entière. Jusqu'à la salle qui est mise en scène: on ne s’assoit pas face à face, mais côte à côte, comme des spectateurs face au ballet des serveurs qui viendront nous émerveiller et nous éclairer sur ce qui nous sera servi. Sur sa carte, constellée de clins d’œil qui distillent l'esprit de la maison ("Mangez avec vos doigts !"), l'Air du Temps propose également une alternative originale au vin, sous la forme de surprenantes créations sans alcool. Une approche en phase avec cette philosophie chevillée au corps, cette certitude que pour avancer, aucune remise en question ne peut être taboue, fut-ce celle de l'union sacrée entre la gastronomie et l’œnologie.L'Air du Temps ** Cette cohérence entre convictions et action est appréciable et constitue certainement l'une des clés du succès de la maison.

Le théâtre est en place, tous les acteurs sont présents: le spectacle peut commencer.

Pain aux herbes et oignon grillé / Chips de potimarron / Sardine, condiment tomate et gingembre. Les mises en bouches. On ne va pas se lancer dans une  énumération de superlatifs. C'est juste super bien ajusté, ça donne le ton. Dans la foulée, on nous apporte le pain et le beurre, qui ne sont pas "juste" des accompagnements mais des expériences en soi: déclinaison autour d'un beurre de la région, nature et fouetté au vinaigre d'agrumes. Plus un petit pot de sel d'Angleterre, juste pour dire.

Tartare de Saint-Jacques et bonite, différentes variétés de radis, thé vert, sauce au vinaigre japonais, tapioca. Confidence sur le vif: si je ne faisais pas gaffe, je pourrais virer crudivore. Je suis donc emballé d'avance mais même sans ça, ça fonctionne très bien. C'est efficace aux yeux autant qu'en bouche: piquant / croquant du radis en contraste de la délicatesse / douceur de la Saint-Jacques crue. Bien bien bien.

Rillettes de pince de homard, cédrat, crème d'anchois. Chips de homard au tapioca. Que dire ? Je crois que je n'avais jamais mangé de homard. C'est en tout cas l'impression sur laquelle me laisse ce plat. Le goût de l'ingrédient principal est omniprésent et pourtant très bien balancé. Je suis bluffé.

Truite et œufs cuits dans le bouillon, chips de peau, émulsion fumée. Ça tue, et je suis loin d'être un inconditionnel de la truite. Mais ici, elle est tellement fondante, tellement délicate dans sa simplicité qu'il faudrait vraiment être de mauvaise foi pour ne pas trouver ça à son goût. Même les oeufs, que j'ai parfois tendance à snober, viennent apporter une note intéressante, tant au niveau du goût que de la texture. La chips de peau est une vraie gourmandise coupable.

Choux et couteaux. Simple. Frais. Super-efficace. Yummy.

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Canard confit, mousse de pommes de terre, noix et pistaches, beurre noisette. Le vif du sujet, un de mes coups de cœur du repas. Canard peut-être un chouïa trop salé, et pourtant on lui pardonne fissa tant l'ensemble fonctionne bien. Le croquant des noix et des pistaches après la suavité du canard délicatement confit est juste... juste... enfin vous voyez quoi. Encore. ENCORE !

Chevreuil, airelles, coing, croustillant de champignons, jus réduit, châtaignes. Un plat en phase avec la fin de saison du gibier. Le croustillant de champignons est une tuerie, sous la forme d'une tuile de papier craquante. Parfaite association avec le moelleux du chevreuil, explosion de saveurs en bouche. Preuve que le moléculaire peut être un atout lorsqu'il est utilisé à bon escient.

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Interlude et avis global sur les créations sans alcool qui nous sont proposées au long du repas. D'abord, c'est super original: loin d'être de simples jus de fruits, la brigade met une fois de plus sa technique et son savoir faire au service du goût; infusions, eaux aromatisées, on avance en territoire vierge et on découvre de nouvelles sensations. Sur la saveur, et soyons honnêtes, c'est plus aromatique que franchement goûtu: quasiment tout ce qui nous a été présenté était bon mais très court en bouche, ce qui, compte tenu des explosions de goûts que représentent les plats, peut être un peu décevant. Mais rien que le concentré d'audace contenue dans ces verres mérite tous les encouragements. Sortant du lot, on retiendra un thé matcha émulsionné aux feuilles de wasabi fraîches, et une eau de fleur de rose, framboise et infusion samba.

L'Air du Temps **Le temps passe vite lorsque l'on est heureux, et c'est déjà l'heure du dessert: Framboises en différentes textures. Très belle composition visuelle, un de ces plats qui ressemblent à une sculpture. Au goût, rien à redire. L'intitulé ne ment pas, on s'amuse vraiment à redécouvrir la framboise sous de nouvelles formes: fondante, craquante, onctueuse, élastique. Saveur bien équilibrée, ni trop acide ni trop sucrée. A la table voisine, un couple a droit à une attention spéciale: composition du dessert en live et à même la table. C'est d'autant plus impressionnant que le serveur n'a pas droit à l'erreur. Toute la salle profite du spectacle, la demoiselle a des étoiles dans les yeux. Instant de grâce, déjà inoubliable pour ces deux tourtereaux, l'Air du Temps c'est d'abord et avant tout une fabrique d'émotions.

L'Air du Temps **Sucette carotte et violette / Chocolat blanc, whisky Laphroaig / Pâte de coing / Tarte aux pommes / Tarte cassonade & café / Bonbon Combava. Ici, rien n'est laissé au hasard et un café ne saurait être complet sans sa ronde de mignardises. Véritables petites bombes, concentrés de technique et de goût, pour notre plus grand plaisir. Pour se laisser emporter dans un dernier tourbillon de saveurs, avant de refermer, un peu à regret, le livre de ce dîner presque parfait.

On atterrit tranquillement, la tête encore dans les nuages.  On laisse son regard se poser sur les champs à perte de vue, sur ces produits de la terre que le Chef Degeimbre et son équipe parviennent si bien à mettre en valeur. Sur cette  nature généreuse et sur tout ce qu'elle nous donne. Le bonheur, dans toute sa simplicité.

Merci, et vivement la prochaine fois ♥

 Verdict:
Dans l'assiette et le verre:  9,5 / 10
Côté service et accueil:  9 / 10
Pour le cadre et l'ambiance:  9 / 10
 En pratique:
Adresse: Rue de la Croix Monet 2, Liernu (5310)
Site web: http://www.airdutemps.be
Téléphone: +32 81/81.30.48

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