Senzanome *

NdlR: Si vous vous intéressez à l'actualité gastronomique, vous n'aurez certainement pas loupé le déménagement du Senzanome, l'un des grands ambassadeurs de la cuisine italienne au sein de notre chère capitale. Initialement prévu pour octobre 2014, l’événement fut reporté à de multiples reprises, jusqu'à prendre des allures de Vaporware culinaire et au grand dam des fines bouches d'ici et d'ailleurs. Désespoir qui s'est depuis mué en réjouissance, puisque Nadia et Giovanni Bruno ont inauguré en juillet dernier leurs nouveaux quartiers, pile en face du Petit Sablon: l'occasion rêvée pour publier cet article, écrit il y a quelques mois, à l'époque où le duo sus-nommé officiait encore à Saint-Josse. Si ce déménagement change quelque peu la donne, gageons qu'il n'aura eu que des effets positifs sur cette très belle table (hypothèse que nous ne manquerons probablement pas d'aller vérifier dans les mois qui viennent).

 

 Une table qui a su se faire un nom 

Senzanome *Dans la vie, on a parfois des moments creux. De ceux où l'on a l'impression que rien ne va, que malgré tous nos efforts pour surnager dans l'océan de nos souçis, on est systématiquement repoussé dans les abysses par une paire de combat-shoes pointure 172. Et pourtant, même durant ces périodes, il y a parfois, de loin en loin, un rayon de soleil complètement inattendu, juste une manière pour le hasard de vous rappeler que la vie est faite de hauts et de bas, et qu'à chaque claque succède un petit ou un grand bonheur. Facétieuse providence donc, qui m'envoya un soir un coup de fil de Thomas, un ami perdu de vue depuis un moment, et désireux de m'inviter à dîner pour discuter affaires. En soi, c'est déjà cool. Connaissant mon amour de la bonne chère, le dit ami me propose - cerise sur le clafoutis - de choisir moi-même l'adresse de nos retrouvailles: j'accepte évidemment de bonne grâce et m'enquiers fissa de ce qu'il a envie de manger: "rien de trop exotique, mais j'aime assez la cuisine française ou italienne". Tranquillou, je lui propose donc quelques adresses de petits restos transalpins bien notés. Réponse: "non mais tu peux taper un peu plus haut dans le budget, on peut se faire plaisir". Tutto bene, c'est le genre de truc qu'il faut rarement me répéter.

Une semaine plus tard, nous voici attablés au Senzanome de Giovanni Bruno, une étoile au Michelin et adresse incontournable de la grande cuisine italienne. De fait, on va se faire plaisir. La carte en main, Thomas se laisse tenter - sur ma proposition, restons honnêtes - par le menu dégustation 4 services. Bienbienbien ! Pour le faire descendre, un vin sicilien, produit sur les pentes du volcan: Tenuta delle Terre Nere, Etna Rosso 2012. Une production très jeune - les premières bouteilles ne sont sorties des chais qu'en 2005 - mais qui n'a pas grand'chose à envier à ses aînés: un vin frais avec juste ce qu'il faut de puissance et de complexité pour contenter les non-œnologues que nous sommes.

Senzanome *Senzanome *Côté cadre c'est agréable, classy et feutré comme on peut l'attendre de cette catégorie de maison. Couverts et vaisselle teintés de design, accord des couleurs, on sent que rien n'a été laissé au hasard et on apprécie. Le service est aussi comme on l'aime, attentif sans être pesant, courtois mais pas trop formel.

Mais on est pas là pour reluquer les papiers peints, alors dài ! On attaque avec un Maki à l'italienne, purée de pommes de terre / Raviole de radis noir à la Ricotta. Deux très bonnes mises en bouche: un maki revisité, et une raviole très visuelle. C'est beau, c'est bon, le message est clair: attachez vos ceintures, vous allez décoller.

Senzanome *Oeuf toscan bio à 60°, crème de grana panado, crumble de pancetta et truffes de saison. Vous connaissez maintenant mon amour pour les œufs: je suis conquis d'avance. Mais en fait, c'est encore mieux qu'espéré. Harmonie de sel et de douceur, d'onctuosité et de croquant: je surkiffe.

Risotto à la Trevisiana. Bien. Molto bene même. Un risotto original, bien entendu parfaitement maîtrisé: riz cuit tip-top, onctuosité du mantecare, saveurs subtiles de vin rouge, un peu d'amertume amenée par le Raddichio (ou salade de Trévise, une variété de chicorée sauvage) qui, dans cette recette, remplace les traditionnels oignons. Bref, ça tue.

Dos de cabillaud cuit à la vapeur, confit de tomates, olives et câpres, purée de pommes de terre, légumes de saison. Un peu moins emballé: objectivement, on ne peut rien reprocher: la cuisson est maîtrisée, c'est un beau morceau de poisson, les condiments s'accordent bien, mais... disons que ça n'a rien de très créatif. C'est à la hauteur du dîner, mais on ne pousse pas des cris d'extase.

Senzanome *Ce qui me permet d'inaugurer - sans transition - un intermède tendance branlette intellectuelle: de manière générale, et plus encore dans les restaurants haut-de-gamme, j'ai souvent cette vague frustration d'un point culminant arrivant trop tôt; entendez par là que les entrées me font plus planer que le plat de résistance. C'est dommage parce que plus le temps passe, plus je suis sensible au storytelling d'un repas: une première entrée qui surprend, une deuxième entrée qui monte en puissance, une véritable explosion avec le plat principal et un atterrissage en douceur avec le dessert. On se moque souvent de certains jurys d'émissions TV / critiques / chefs qui parlent de l'histoire qu'il y a derrière un menu, mais au fond, cela fait aussi partie du plaisir de la table, en particulier quand on s'offre (ou se fait offrir, en l’occurrence) un moment d'exception à la rareté forcément proportionnelle au prix. Fin de l'intermède.

Senzanome *On vient de parler d'atterrissage en douceur ? Pour le coup c'est réussi: Mousse de sabayon de Zibibbo, coulis de grenade, tuile de caramel et terre de cacao. Je... rhaaaaaaaaaaaa comment dire ? Ça frise carrément la perfection. Plaisir sucré d'une grande subtilité, juste quelques notes d'acide et d'amertume pour mieux marquer le contraste. Delizioso.

Et le repas s'achève sur un incomparable petit goût de gratuit, puisque courtoisie oblige, je n'ai aucune idée de l'addition finale. Mais au sourire satisfait de mon hôte, je sais qu'on en a eu pour chaque centime, voire un peu plus. Grazie mille Thomas, grazie mille vita !

Verdict:
Dans l'assiette et le verre:  9 / 10
Côté service et accueil:  8,5 / 10
Pour le cadre et l'ambiance:  8 / 10
 En pratique:
Adresse: Place du Petit Sablon 1, Bruxelles (1000)
Site web: http://www.senzanome.be
Téléphone: +32 2/223.16.17

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